Théâtre Nanterre Amandiers, 19 janvier/12 février 2012; Théâtre Vidy-Lausanne, 6/18 mars; Espace des arts de Chalon-sur-Saône, 30/31 mars; Théâtre des arts de Cergy, 22/23 mai. Tournée MAI-JUIN 2013.
Les 3 Parques m'attendent dans le parking est un feu d'artifice(s,) d'intelligence et d'humour, la vie qui file et c'est coton, la crise au tamis de la musique, les mots aux sévices du jeu, le jeu au service démo, derrière les masques c'est nous qui sommes en somme bêtes de somme à roupiller quand le temps file, la télé galonnée en prend pour son grade et nous plein la pomme, les trois formidables comédiennes digressent, zappent et nous vengent de toutes les pièces où l'on s'emmerde et des enfumages de ceux qui nous gouvernent, ça marche comme sur des roulettes, garanti 100% sans naphtaline, les mythes dévorent le réel, on nage dans l'actualité, alors faut y aller d'ici dimanche, après c'est foutu ou faudra suivre ce fil de Minotaure en province...
Le titre du spectacle de Rebotier annonce la couleur ! « Les 3 Parques m’attendent dans le parking » est une exploration savoureuse du langage et des discours dans notre société par trois jeunes femmes débordante d’énergie et de ressources.
Séparée du public par un voile translucide, trois Parques filent notre vie et se prennent parfois à en rompre le cours d’un geste sec et franc. Assises sur leurs valises à roulettes lumineuses, elles se font l’écho des êtres humains et de leurs phrases toutes faites. Dans un unisson parfait, elles les reprennent hors de leur contexte et désamorcent leurs particularités pour faire entendre leur universelle banalité.
Leur matière est pour le moins hétérogène. Des discours politiques à ceux de l’entreprise en passant par la mythologie et les discours amoureux, elles s’interrogent sur la matière des mots, sur leurs sonorités et sur les tics de langage – non sans humour. De fil en aiguille, elles tissent des réseaux, suivent les bonds les plus incongrus de leurs pensées, sans jamais s’arrêter à une logique ou à un message univoque.
Ces mélopées sont rythmées par la minuterie : à chaque passage au noir, la configuration est repensée, comme les trois côtés d’un triangle dont les combinaisons sont infinies. Elles en essaient donc de différentes autour des thèmes effleurés de Jason, sa toison, Fred et Nancy, Guillaume ou William Tell et sa pomme du Jardin désespéré. Une tirade résume d’un seul coup toutes ces connexions qui associent Jason et les Parques à shakes-poire et les fées, dans un délire verbal qui joue sur les étymologies et les sonorités.
Après tout, peu importe ce dont il est question. Ce qui préside au spectacle est une esthétique du détournement qui fait lire « ortie » à la place de « sortie » et « eat and die » dans « Théâtre des Amandiers ». Derrière leurs masques qui ne représentent rien d’autre que leur propre visage, elles s’efforcent de saisir le réel pour mieux le déconstruire.
Le lieu où elles se trouvent est volontairement multiple. Aire d’autoroute ou quai de gare, la matière sonore en fait un endroit surplombant la Terre. Les images projetées sur le voile qui les isole du public semblent être une fenêtre, une ouverture sur le monde qu’elles commentent et imitent tout en filant, lasses de ne pas pouvoir mourir elles aussi.
Cet éternel présent qu’elles rejouent en se répartissant les rôles de la naissance, de la vie et de la mort ne peut prendre fin que lorsque l’une d’entre elles s’effondre. Dès lors, l’harmonie est brisée et ne peut plus être reconstituée. C’est la fin d’un monde.
Dans ce foisonnement verbal et scénique les trois comédiennes trouvent leur place sans peine. Maîtrisant aussi bien le chant que les arts du cirque pour Vimala Pons, le trio est équilibré entre ces trois personnalités qui se dévoilent paradoxalement lors des unissons.
Cet « oratorio du quotidien » comme le désigne Rebotier, à l’origine du spectacle dans toutes ses dimensions, est une bouffée de fraîcheur et de légèreté qui contraste avec le sérieux des problématiques politiques actuelles et que l’on accueille à bras ouverts.
COMPTE RENDU Jacques Rebotier, la langue sur une ligne de crête Jacques REBOTIER
date de publication : 31/01/2012 // 5470 signes
Aux Amandiers de Nanterre, avec Les Trois Parques m’attendent dans le parking, le poète, compositeur et metteur en scène Jacques Rebotier mène la course des mots contre la logorrhée médiatique.Les Trois Parques commence par les trois coups du gendarme. Trois coups tirés au silencieux façon Tontons Flingueurs. Pop. Pop. Pop. Une balle pour chaque Parque puisqu’elles ont droit de vie ou de mort. Normal. Tirées au silencieux puisqu’on va commencer à parler. Normal aussi. Silence donc . Pardon. Rideau. Un léger voile noir en fait. Qui ne se lèvera jamais. Trois coups pour rien ? Non. Figées derrière le tulle, dans l’expression d’un masque qui leur colle à la peau, les trois Grâces, pardon, les trois Parques, une blonde, une brune, une rousse, filent pelote de laine avec quenouille, fuseau et ciseaux à la main. L’une tranche prématurément le cours d’une vie. Révolte des deux autres puisque ce n’est que le début du spectacle, ça ne peut être déjà la fin. Toutes trois entonnent un monologue rapide, trois voix parfaitement synchrones et étalonnées qui n’en forment qu’une. L’effet est proprement magique. Drôle et poétique, la langue sera musicale, la partition réglée au millimètre laissera pourtant latitude à l’accident. Cette amorce est véritablement mortelle.
Sa langue est une fuite, une course légère Et la suite ne déçoit pas. L’éclectique Rebotier porte la langue sur une ligne de crête où se tiendrait une poésie qui ne se prend pas au sérieux. Le dramaturge, metteur en scène et poète, est aussi musicien. Et sa langue une fuite, une course légère, un sautillant déséquilibre dynamique où chaque mot danse vers le suivant par connivence, sémantique, sonore, glissement, glissade, rebond, par association d’idées ou retournement du sens… Telles les courses de ces Parques qui dans ce parking circulent à tout va au volant de leurs valises Made in China posées sur mini-roues phosphorescentes et multicolores, les phrases se croisent, s’entrecroisent, se chevauchent et se cognent, repartent, les mots ébranlés par les chocs, évidés de leur sens et dépossédés de leur sérieux. Raconter le spectacle ? Difficile. Le texte est tissage. Les fils des Parques s’entrelacent plus qu’ils ne créent narration. On retiendra pêle-mêle quelques phrases politiques passés au crible de l’étude de leur rythme et de leur modulation tonale (qui en ressortent si vraies dans le fond et à tellement ridicules dans la forme). Mais aussi un vilain chien bourré d’actifs toxiques, une série soap américaine où Jason (prononcer Djaizone) fait transition vers Jason et sa toison d’or (et les pelotes de laine)..Des tentatives répétées de décocher la pomme façon Guillaume Tell ou à la hache posée sur la tête. Des discours creux de sportif. Des annonces drôlissimes de la caravane du Tour. Des propos déconstruits, transposés, et parodiés en attaques contre les éléments du langage dominant des agences de notation...
Dans la liberté du travail de plateau Cependant, la langue de Rebotier n’est pas que verbale. Drôle, poétique et musicale, on l’a dit. Mais scénique aussi. Une des grandes qualités de cette pièce tient dans sa capacité à associer la mécanique d’un texte interprété avec une précision diabolique à la liberté du travail de plateau qui paraît avoir fortement infléchi le cours du spectacle. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les Parques m’attendent dans le parking veut avancer par mimétisme avec le flux de la pensée et laisse donc au vivant toute la part qui lui revient. S’inscrivant dans une trilogie baptisée R.E.S (pour Rêve Evénement Souvenir), ce deuxième opus relate le tir nourri de la logorrhée médiatique qui s’attaque à nos cerveaux comme il sourit de la dégradation du langage que chacun manie au quotidien. Rebotier et son équipe y déconstruisent le langage, qu’il soit nôtre, usé par l’usage, ou médiatique, dévoyé par l’exigence de communication Nulle leçon là-dedans mais toute la force de la poésie qui laisse la langue en jachère, en terrain de jeu sur lequel faire germer les pousses de demain.
Le titre du spectacle de Rebotier annonce la couleur ! « Les 3 Parques m’attendent dans le parking » est une exploration savoureuse du langage et des discours dans notre société par trois jeunes femmes débordante d’énergie et de ressources.
Séparées du public par un voile translucide, trois Parques filent notre vie et se prennent parfois à en rompre le cours d’un geste sec et franc. Assises sur leurs valises à roulettes lumineuses, elles se font l’écho des êtres humains et de leurs phrases toutes faites. Dans un unisson parfait, elles les reprennent hors de leur contexte et désamorcent leurs particularités pour faire entendre leur universelle banalité.
Leur matière est pour le moins hétérogène. Des discours politiques à ceux de l’entreprise en passant par la mythologie et les discours amoureux, elles s’interrogent sur la matière des mots, sur leurs sonorités et sur les tics de langage – non sans humour. De fil en aiguille, elles tissent des réseaux, suivent les bonds les plus incongrus de leurs pensées, sans jamais s’arrêter à une logique ou à un message univoque.
Ces mélopées sont rythmées par la minuterie : à chaque passage au noir, la configuration est repensée, comme les trois côtés d’un triangle dont les combinaisons sont infinies. Elles en essaient donc de différentes autour des thèmes effleurés de Jason, sa toison, Fred et Nancy, Guillaume ou William Tell et sa pomme du Jardin désespéré. Une tirade résume d’un seul coup toutes ces connexions qui associent Jason et les Parques à shakes-poire et les fées, dans un délire verbal qui joue sur les étymologies et les sonorités.
Après tout, peu importe ce dont il est question. Ce qui préside au spectacle est une esthétique du détournement qui fait lire « ortie » à la place de « sortie » et « eat and die » dans « Théâtre des Amandiers ». Derrière leurs masques qui ne représentent rien d’autre que leur propre visage, elles s’efforcent de saisir le réel pour mieux le déconstruire.
Le lieu où elles se trouvent est volontairement multiple. Aire d’autoroute ou quai de gare, la matière sonore en fait un endroit surplombant la Terre. Les images projetées sur le voile qui les isole du public semblent être une fenêtre, une ouverture sur le monde qu’elles commentent et imitent tout en filant, lasses de ne pas pouvoir mourir elles aussi.
Cet éternel présent qu’elles rejouent en se répartissant les rôles de la naissance, de la vie et de la mort ne peut prendre fin que lorsque l’une d’entre elles s’effondre. Dès lors, l’harmonie est brisée et ne peut plus être reconstituée. C’est la fin d’un monde.
Dans ce foisonnement verbal et scénique les trois comédiennes trouvent leur place sans peine. Maîtrisant aussi bien le chant que les arts du cirque pour Vimala Pons, le trio est équilibré entre ces trois personnalités qui se dévoilent paradoxalement lors des unissons.
Cet « oratorio du quotidien » comme le désigne Rebotier, à l’origine du spectacle dans toutes ses dimensions, est une bouffée de fraîcheur et de légèreté qui contraste avec le sérieux des problématiques politiques actuelles et que l’on accueille à bras ouverts.
« Les Trois Parques m'attendent dans le parking » de Jacques Rebotier
La banque de données de Jacques Rebotier
Si « Le Système de Ponzi » est régulièrement ponctué par des accompagnements ou séquences musicales (Charles Nelson joue aussi de la clarinette, du saxo, etc., Lescot de la trompette) alors que le texte est de facture normative, il en va tout autrement chez cet écrivain-musicien qu'est Jacques Rebotier.
Chez lui, l'écriture est d'emblée musicale, l'auteur notant d'un seul geste les phrases (elles-mêmes jouant sur une gymnastique des sons) et leur future élocution. Ses écrits sont aussi des partitions.
« Les Trois Parques m'attendent dans le parking », avec leurs chariots (Victor Tonelli)
En scène donc, trois Parques, ces divinités de l'ancienne Rome qui, filant la vie des hommes au bout de leurs quenouilles, présidaient au fil de leurs destinées jusqu'à le couper.
Aujourd'hui, les trois Parques, plus complices que jamais, s'assoient sur leurs chariots dans un parking souterrain où la lumière saute régulièrement, signe particulier d'un état délabré du monde en général. Et elles parlent. De tout, de rien.
« Les fondamentaux sont bons » dit Baroin
Elles mêlent tout (le langage codé de la météo à la télé avec les cours de la Bourse) et se mêlent de tout. Car elles sont attentives :
à toute formule creuse ou perle dite avec le plus grand sérieux, tel l'impayable « les fondamentaux sont bons » de François Baroin ;
aux phrases toutes faites de la vie domestique, tel le « dès que vous entendez votre interlocuteur, parlez » (que l'on peut entendre comme une phrase d'amour, pourquoi pas), ou bien l'increvable « tu m'parles pas comme ça quand je conduis ».
Autant de phrases dites en chœur par les trois actrices, ce qui leur donne un relief particulier (procédé que l'on retrouve dans le spectacle de Lescot).
La force et le charme de Rebotier, c'est non seulement de mixer de telles phrases en jouissant de leur abyssal néant, platitude ou dépersonnalisation, et tout autant de les mettre en branle dans une élocution à vitesse variable et souvent plurielle si bien que les trois Parques, quand elles ne se frittent pas, peuvent parler ensemble d'une « même voix », si l'on peut dire.
Il y a longtemps que Rebotier a mis au point cette expression à la fois vocale, musicale et scénique, en particulier lors de ses délicieux duos avec Elise Caron, comme ces « Douze essais d'insolitude ».
ELISE CARON ET JACQUES REBOTIER LISANT « DOUZE ESSAIS D'INSOLITUDE »
Les trois Parques sont jouées par de jeunes actrices – Caroline Espagilière, Nicole Genovèse et Vimala Pons –, et c'est avec jubilation qu'elles entrent dans la langue de Rebotier.
Giscard, Guaino, Guéant : une histoire en 3G
Elle sont donc là à filer leur quenouille, et commentent le temps qui passe, les amours du jour, écoutent le bruit de la politique, jouent aux agences de notation, évoquent les bons du trésor grec, les prêts bancaires aux pauvres, se souviennent (via vidéo) de Giscard parlant de la crise, bifurquent vers Guaino et Guéant ou se passent en boucle la langue de Hollande qui fourche entre la droite et la gauche, ce qui nous vaut ensuite un exercice physique dysleptique hilarant sur le même sujet.
En les entendant chanter « Un oranger sur le sol irlandais… », on en vient à se demander si ces vigilantes vigiles que sont ces trois Parques ne sont pas aussi des oracles.
Bref, si ces suceurs de roues des politiques que sont les autoproclamés humoristes qui sévissent ou sévissaient le matin sur les ondes vous gavent, si les analyses gorgées de prédictions péremptoires jusqu'à l'écœurement de ces pros de politicaillerie que sont les commentateurs attitrés qui font la navette entre les différentes émissions télé ou radio vous donnent la nausée, si cependant la politique, l'économie, les banques, l'amour et « tout ce qui part en sucette » (pour reprendre une expression chère aux textes de Jean-Charles Massera mis en théâtre par Benoit Lambert) vous plongent dans des abîmes d'expectative et de rage conjuguées, alors allez-vous refaire une santé au théâtre auprès de Jacques Rebotier et David Lescot.
A
la boule. Viens-là, toi ! Au
bâton. Toi aussi. Hop, boule sur bâton
et bâton sur tête.
Bon j’te raconte, William, je peux t'appeler
Guillaume ? donc tu prends ta poire, euh pomme, et tu la poses sur la table,
euh tête, donc tu la poses sur ta tête, et tu bouges comme ça en essayant de
rattraper les déséquilibres, enfin c'est pas toi qui bouge, c'est ta tête qui te
fait bouger, enfin... ta pomme, la
pomme c'est le déséquilibre, toi tu bouges tu microbouges juste c'qui faut pour
rattraper le déséquilibre, pout attraper l'équi... libre, tu nanobouges,
en fait il faut être toujours déséquilibré, enfin dans le déséqui...libre, non
il faut pas mais, mais de fait tu l'es, parce que si t'arrête de bouger t'es,
t’es mort, [1]ça
te dérange pas que j’t’appelle t’es mort ? tu habites le déséqui... libre,
le fil de la pensée, et faut
bouger tout le temps pour que ça bouge plus, faut être tout le temps..., bouger
plusse pour qu’ça bouge pus, faut être en train de tout l’temps tout l’temps (évoquer
légèrement le train avec ça), tout l’temps, tout l’temps,
tout l’ temps, c’est ça la liberté :: toutletanter-à-chaque-instant, tant, être
le temps, tant... tant... tant qu'on peut. La
boule tombe.
Un
temps.
Langage pareil.
[1] Si possible,
pour l’incise qui suit : passer en équilibre frontal pour trouver une
adresse à la boule.